Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
438
L’ÉTAPE

se retourna vers sa sœur, dont il caressa la joue creusée avec une tendresse navrée, trouvant dans le sentiment du devoir accompli envers ce pauvre être la force de ne pas éclater en une rage aveugle contre Rumesnil, contre lui-même, contre la vie…

Cruel commencement d’une veillée déjà si pénible, dans cet endroit, parmi ces meubles, et qui devait se consumer tout entière dans des méditations encore enfiévrées par l’angoisse de ce qui se passait maintenant rue Claude-Bernard, par la terreur de ce qui s’y passerait demain !… Les heures s’en allaient, et leur fuite était comme rendue palpable par le battement de l’horloge placée sur la cheminée où le feu se mourait. Le souffle léger de Julie, enfin endormie d’un sommeil véritable, se mêlait à ce bruit monotone, et aussi, — détail trivial qui augmentait la mélancolie de Jean Monneron en lui rappelant, d’une manière brutale et presque grotesque, à quelles discrétions mercenaires l’honneur des siens était confié, — le ronflement du domestique de Rumesnil, installé dans l’autre chambre, par une précaution du médecin. Au dehors, les voitures se succédaient, filant vers le dépôt de Grenelle, et menées rondement sur les pavés par des cochers pressés de rentrer au gîte. Elles ébranlaient les vitres de ce rez-de-chaussée, situé presque à même la rue. Puis elles s’espacèrent. Ce fut le tour des promeneurs tardifs, dont les voix résonnaient claires, dans le silence de plus en plus vaste. Une seule bougie brûlait.