Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
442
L’ÉTAPE

sort, — pitoyable, puisque la pitié en émane… Et à un moment de cette longue nuit, sa sœur, réveillée de son sommeil, put le voir qui s’était mis à genoux au pied de ce lit, théâtre des irrémissibles fautes qu’elle n’était pas seule à expier. Jean avait le front appuyé contre les draps où se voyaient les traces du sang de la blessée, et il priait… Bien vague et bien obscure prière ! Inarticulée et informulée, elle ressemblait au balbutiement d’un enfant à peine né à la conscience. Ce civilisé n’avait-il pas été élevé comme un barbare par un père que l’idolâtrie du sens propre ramenait, et avec lui tous les siens, à une mentalité de sauvages, pour ce qui touche à la vie intime de l’âme ? Cet appel à un secours d’ailleurs était pourtant une prière, la première qu’un Monneron eût prononcée depuis que le fonctionnaire, déraciné d’idées autant que de mœurs, avait fondé cette famille sans milieu et sans passé. La sœur, qui conservait, même dans la tragédie où sa folie, de révolte l’avait précipitée, l’orgueilleux nihilisme de l’éducation paternelle, resta saisie d’un étonnement voisin de la stupeur, devant ce signe d’un état de l’esprit, nouveau pour les siens jusqu’à en être miraculeux. Par un involontaire respect où il entrait bien de la tendresse pour ce frère qui, seul, avait su un peu comprendre son cœur, elle se retint de bouger, et elle referma ses yeux, pour qu’il ne sut pas qu’elle l’avait surpris, pour ne pas toucher à la pudeur de sentiments naissants dont cet agenouillement était le premier et encore timide symbole !…