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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/466

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L’ÉTAPE

gronder, dans cette voix si chère, une douleur que sa tendresse filiale n’eût jamais supportée autrefois. C’est que les événements de ces derniers jours l’avaient virilisé en le contraignant d’agir, d’interrompre l’éternel soliloque intérieur où s’affinait et se paralysait sa sensibilité. C’est aussi qu’il venait d’entrer avec son père sur un chemin de vérité et que l’on ne s’arrête pas sur cette route. On ne fait pas plus sa part à la franchise qu’au scepticisme. Elle vous prend tout entier. C’est un invincible besoin pour l’âme, quand elle s’est mise vis-à-vis d’une autre âme dans une relation réelle, de ne plus admettre les équivoques, de secouer l’incertitude et l’à-peu-près. Et puis, si Jean chérissait son père d’une affection passionnée, il avait une affection bien profonde pour sa sœur Julie. Il venait, durant toute cette semaine et cette nuit surtout, de tellement reconnaître les qualités de cette nature, déraisonnable mais si sincère, égarée mais si généreuse, impulsive mais si délaissée, si privée des appuis qui l’eussent préservée. Comment aurait-il pu ne pas protester contre cet arrêt sans recours par lequel leur père la condamnait, dans le premier sursaut de l’affreuse révélation, alors surtout que le pauvre homme, trop injuste à force d’aveuglement comme il avait été trop faible, avait lui-même sa part de responsabilité dans les défaillances de son fils aîné et surtout de sa fille ? Et, sans mesurer la portée de sa réponse, aussi instinctivement qu’il se fût précipité pour détourner l’arme fatale, s’il se fût