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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/488

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L’ÉTAPE

même ces précautions n’eussent pas été un remède d’une efficacité indiscutable. Il nous suffit de concevoir cette efficacité comme possible, pour que notre conscience nous reproche de n’y avoir pas eu recours. C’était cet obscur remords que la parole de son fils Jean avait éveillé dans l’âme de Joseph Monneron. Les démonstrations les mieux établies pouvaient d’autant moins en avoir raison que le cœur du brave homme conspirait avec ce remords : à reporter sur lui-même une part de responsabilité, il diminuait celle de ces deux misérables êtres, nés de son sang, et si tôt, si lamentablement abîmés dans l’irréparable. Il ne pouvait se permettre de les plaindre qu’en se condamnant. Ce malaise de conscience demeurait certes bien vague, et l’orgueil de la logique devait continuer à s’y opposer jusqu’au bout. Il était né cependant et il devait nécessairement aboutir à un retour passionné d’indulgence pour le fils voleur et la fille-mère.

Ce retour, que Jean n’avait pas espéré si prompt, avait déjà commencé quand, à midi, le professeur se fut assis à la table du déjeuner, autour de laquelle, au lieu des quatre enfants qui s’y pressaient la semaine précédente, il n’y avait plus que lui, sa femme et un fils dont il craignait d’être séparé sur des points si intimes ! Quel repas, pris en vingt minutes, presque sans une parole, sous le regard effronté d’une bonne engagée deux mois auparavant dans un bureau de placement et qui avait trop écouté aux portes depuis la veille pour ne pas