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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/496

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L’ÉTAPE

vérité que ta mère, ton frère Jean et moi… Et nous ne nous quitterons plus jamais… »

À mesure qu’il parlait, il la vit, avec stupeur, éclater en un sanglot presque convulsif, comme si le tableau de paix familiale qu’il évoquait devant elle lui faisait trop de mal, et elle répondait :

— « Non, c’est impossible, papa, c’est impossible. Je ne peux pas rester avec toi, dans ton intérieur. Je dois te quitter, vivre seule, m’en aller de France, n’y plus rentrer, disparaître… »

— « Tu vois que tu manques de nouveau de confiance en moi, » dit le père. « Pourquoi dois-tu me quitter et vivre seule ?… »

— « Parce qu’une fille-mère est une honte pour une famille, » reprit-elle sombrement, « et que je ne veux pas imposer cette honte à quelqu’un qui a été si bon, si dévoué pour moi… Oui, » insista-t-elle. « Je pense à Jean, en ce moment, et à ce qui arriverait, si j’étais là, quand il se mariera… Ou il tairait ma faute à sa femme, ou il la lui dirait. Je le connais, il ne supporterait pas ce mensonge, et moi je ne supporterais pas qu’elle me regardât d’un certain regard. Non, mon père, je dois disparaître, aussitôt guérie… »

— « Mais Jean n’est pas marié !… » répondit le père.

— « Il le sera bientôt, » repartit-elle.

— « Qui te fait dire cela ? » demanda-t-il, surpris par le ton affirmatif avec lequel elle s’exprimait, « est-ce que tu as reçu ses confidences ?… »