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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/516

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L’ÉTAPE

le chef de l’une pouvait-il cacher au chef de l’autre des faits de cette gravité ? L’homme intègre et probe qu’était Joseph Monneron n’eut pas plus tôt aperçu ce devoir qu’il en sentit en même temps l’affreuse humiliation, mais aussi qu’il ne se pardonnerait pas de s’y être dérobé. Peut-être, — car s’il avait les défauts d’un sectaire, le révolutionnaire avait l’ardeur et la sincérité d’un croyant désintéressé, — peut-être éprouva-t-il le besoin, trouvant l’autre si délicat, si noble de sentiments, de lui prouver que sa doctrine le rendait, lui aussi, capable des plus délicats scrupules et des plus énergiques intégrités de la conscience ? Toujours est-il qu’il rendit au père de Brigitte la lettre au timbre de Rome, et il lui dit :

— « J’ai eu tort dans mon reproche de tout à l’heure, Ferrand. Je le reconnais et je m’en excuse… Tu t’es conduit admirablement avec mon fils ; mais ce mariage ne se fera pas. »

— « Tu t’y opposes encore ? » reprit Ferrand, avec une véritable détresse dans sa voix. « Je ne peux pas aller plus loin… »

— « Ce n’est pas moi qui m’y oppose, » répondit Joseph Monneron. « C’est toi-même qui vas me demander d’empêcher que Jean ne renouvelle sa démarche… Le secret que je te confie est horrible à dire, » poursuivit-il. « Je le livre à ton honneur… Je te le dois, puisque tu consentais au mariage de ta fille avec mon fils, en faisant un tel sacrifice à ta conscience. Écoute… » — Il y eut un silence entre eux, puis, saisissant le bras de son ancien