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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/52

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L’ÉTAPE

Le philosophe s’était levé pour prononcer ces dernières paroles, où le mysticisme de sa pensée avait éclaté malgré lui. Il allait et venait dans le vaste cabinet de travail, son large visage tout éclairé par une flamme de passion religieuse aussi intense que, si au lieu d’être un simple professeur de lycée à la fin du dix-neuvième siècle, il eût été un des docteurs de la réforme catholique du dix-septième siècle, un contemporain de cet Arnauld, dont l’immobile effigie présidait à cet entretien, lequel risquera de paraître bien étrange à cette date de 1900 et à Paris. Mais l’était-il réellement ? Lorsque l’on appartient, comme les deux hommes qui causaient ainsi, à la race de ceux dont Platon disait déjà qu’ils vont à la vérité « avec toute leur âme », n’est-il pas naturel que, dans un acte aussi solennel qu’un mariage et que la création d’une famille, on ne voie pas seulement une question d’intérêts, de convenances, ni même d’attrait sentimental ? Ces idées si théoriques, semble-t-il, les avaient portés, l’un et l’autre, à un point d’émotion extrême. La voix du maître, en particulier, s’était faite presque sourde, dans son excès d’ardeur intime, pour prédire la conquête par Dieu de l’âme de son ancien élève. Son exaltation continuant, il s’arrêta devant Jean Monneron, toujours assis, et, lui posant les mains sur les épaules, le regard plongé dans son regard :

— « Comprenez-vous maintenant, » conclut-il, « pourquoi je n’accepte pas votre réponse comme