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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/54

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L’ÉTAPE

vous une époque trop rapprochée. Acceptez-vous maintenant ? »

— « Ah ! mon cher maître, » s’écria Jean, « que vous êtes bon ! Et pourtant que vous me faites mal !… Ah ! que vous me faites mal !… » répéta-t-il, et, les coudes sur ses genoux, le visage dans ses mains, comme quelqu’un qu’une crise de souffrance insupportable plie en deux, il éclata en sanglots. C’était un gémissement de tout son être, aigu et violent, qui le secouait d’un spasme presque convulsif. Et, comme le philosophe, épouvanté de cet inexplicable accès, ne trouvait à dire au jeune homme, pour le calmer, que les phrases que l’on tient à un enfant malade :

— « Voyons, Jean, soyez raisonnable… Mais revenez à vous, mon ami… Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Qu’avez-vous compris ?… » — l’amoureux releva la tête. Il montra ses joues couvertes de larmes, sa bouche tremblante d’émotion, ses yeux suppliants, et il répondit :

— « Je ne serai pas moins franc avec vous que vous ne l’avez été avec moi, monsieur Ferrand. Oui, vous venez de me faire bien mal. Ce n’est pas votre faute. Je ne vous ai montré qu’un seul des scrupules qui se dressent entre mon bonheur et moi : le scrupule d’idées. Il serait déjà bien puissant, quoi que vous en disiez. Il y en a un autre, et celui-là est invincible. Quand vous le saurez, vous-même, mon cher maître, vous vous inclinerez… Mais n’avez-vous pas deviné qu’il s’agit de mon père ?… »