Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
L’ÉTAPE

Ce soupir accablé, où ses impressions amères de la matinée se résumaient dans la condamnation de toute sa famille, lui-même y compris, lui était suggéré par un dernier contraste. Il venait de comparer mentalement la vieille demeure parlementaire, si simplement bourgeoise, — au digne et vieux sens de cette épithète, — où habitait M. Ferrand, et la grande caserne de rapport modern style, toute neuve, avec les enjolivements de ses sculptures à la douzaine, ses baies à vitraux coloriés, son faux air de demi-luxe, où la vanité de Mme Monneron faisait camper son mari et ses enfants. Les loyers de deux mille quatre cents francs abondent à Paris, et il n’y avait certes aucun lien nécessaire entre l’origine des Monneron et le choix de leur appartement. Jean sentit pourtant, avec une force extrême, en gravissant l’escalier de bois, à tapis, mais étroit et mal éclairé, qu’il en était de ce logis comme des autres événements de leur existence. C’était le décor inévitable de leur condition sociale. Il était fait pour eux, comme ils étaient faits pour lui. Les énormes bâtisses de cette espèce, avec leur apparat à bon marché, le pseudo-confort de leurs logements tous identiques, tous étriqués, sans une armoire, sans un coin perdu où garder des objets, où durer enfin, se multiplieraient-elles partout, si elles n’étaient l’image même d’une société qui multiplie, elle aussi, les petites rentes, les petites positions, les bien-être éphémères et les parodies d’élégance ? Ce sont là de très petites