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Page:Paul Vibert - Pour lire en bateau-mouche, 1905.djvu/224

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allés nous promener chez des amis à la campagne dans une voiture légère qui passait partout, avec une bonne mule dans les brancards ; nous étions trois, ma femme, ma sœur et moi et tout à coup dans un chemin creux, que je vois encore, nous poussâmes un cri d’étonnement, de stupeur et de pitié : sur le bord d’une prairie un peu en contre-haut, dans les herbes de Guinée, un cheval se traînait péniblement sur les genoux et nous regardait avec des veux humains, des yeux lamentables et suppliants qui vous fendaient l’âme et vous tiraient involontairement des larmes des vôtres !

Il était là, seul ; abandonné, pauvre loque chevaline, et s’il se traînait sur les genoux, c’est qu’il ne pouvait plus se tenir sur ses pieds, car ses sabots, ses ongles de cheval, avaient allongé et avaient chacun plus de trente centimètres, peut-être quarante, au bout de chaque pied, formant comme quatre longues gouttières noires…

Nous n’avions jamais de notre vie éprouvé une impression aussi imprévue et aussi douloureuse et aussitôt arrivé sur la vaste habitation de notre ami, je demandai au forgeron d’aller donner le coup de grâce à cette pauvre bête ou tout au moins d’aller lui rogner ces cornes immenses qui l’empêchaient de se tenir debout.

— Bast ! c’est un cheval abandonné, qui n’est bon à rien ; il faut le laisser mourir de sa belle mort.

Le soir, nous repassâmes presque en détour-