Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/9

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en sa main ! » pensai-je ; je me souvins aussi qu’il ne manquait pas de « lieux qui ne sont pas trop rapprochés[1] », je me rappelai qu’il y avait des travaux dénués de tout agrément[2]… Je pris toutes ces éventualités en considération de sang-froid, comme un bon Russe que je suis.

Du reste, ne savais-je pas d’avance ce qui m’attendait ? Toutes les questions qui pouvaient surgir à propos de sacrifices et de privations pour moi personnellement et pour ceux qui m’étaient chers… tout cela était résolu d’avance, depuis longtemps, dans un sens ou dans un autre. Il n’y avait plus à revenir là-dessus, et, néanmoins, lorsque je pensai que loin, bien loin, à plus de deux milles verstes[3] vivaient deux vieillards qui avaient mis toute leur âme en ce jeune homme muré dans cette cellule, que ces deux vieillards avaient droit au repos et hâte de se reposer après une longue vie de labeur, et que c’était de ce même jeune homme qu’ils attendaient aide et moyens pour pouvoir le faire… que ces deux vieillards, en apprenant où je me trouvais et ce qui m’attendait dans l’avenir, pourraient aller se reposer d’une autre façon, là où il n’y a plus ni douleur, ni larmes, ni soupirs… Quand je pensai à tout cela, mon cœur se serra d’angoisse… Je me tourmentai toute la journée sur ce même thème. À midi on apporta mon dîner. Je ne pus manger. Était-ce qu’il fût encore trop tôt, était-ce que mon système nerveux fût trop excité…

  1. La Sibérie.
  2. Les travaux forcés.
  3. La verste vaut à peu près 1 kilomètre.