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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/191

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LE DRAME ROMANTIQUE.

non pas le miroir ordinaire qui renvoie des objets une image toujours affaiblie, mais un miroir de concentration qui ramasse et condense les rayons colorants, fait d’une lueur une lumière et d’une lumière une flamme. L’emploi même des mots « grotesque » et « sublime », dont les novateurs se servent couramment pour désigner les deux éléments du drame, suffit à indiquer quel est le caractère de leur conception. Le sublime et le grotesque, ce sont là deux types ; la réalité vulgaire et moyenne ne se compose ni de l’un ni de l’autre. Dans le théâtre romantique, on trouve le grotesque, on trouve aussi le sublime, mais on ne trouve pas cette vérité sans caractère et sans relief que repousse l’art, et l’art dramatique plus que tout autre. Le trivial lui-même « doit avoir un accent ». Les réalistes font du commun le drame lui-même ; d’après les romantiques, ce commun, qui est le défaut des esprits à courte vue et à courte haleine, aurait pour résultat de « tuer » le drame.

Au théâtre, il n’y a de place ni pour l’intervention du poète ni pour la réflexion des spectateurs. On ne peut donc obtenir l’effet voulu qu’en forçant les traits. De là, l’idéalisation. Mais le meilleur moyen d’accentuer certains traits, c’est d’effacer les autres. De là, l’abstraction, qui complète l’idéalisation. Reproduisons sur la scène la réalité telle qu’elle est, qu’arrivera-t-il ? Les faits insignifiants sont plus nombreux dans la vie que les faits significatifs ; ils les étoufferont. Les personnages accessoires sont dans le monde plus fréquents que ceux où le drame s’attache ; ils défileront sur la scène sans autre effet que de disséminer notre attention. Quant aux caractères, si l’on représente l’homme complet, le significatif sera, ici encore, noyé par l’insignifiant. En ne choisissant pas dans les faits, on n’aura plus d’action ; en ne choisissant pas dans les traits, on n’aura plus de figures caractéristiques. Il faut qu’en trois heures le poète nous peigne ses héros et nous présente une action complète. Aussi doit-il retrancher les incidents oiseux, les paroles superflues, ramasser la nature sur elle-même et en faire un raccourci. Dans la réalité, les