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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/20

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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Les champs n’offrent aux honnêtes gens du xviie siècle que des images répugnantes. Tout y blesse les sens : ce sont des paysans lourds et gauches, des bêtes malpropres, des odeurs d’étable. Tout y choque la raison : ce sont des rochers informes, des chemins raboteux, des fouillis d’arbres qui poussent au hasard. On voudrait retrouver jusqu’en pleine campagne l’art du jardinier classique. Perrault prouve que les modernes sont supérieurs aux anciens en comparant les jardins d’Alcinoüs avec le parc de Versailles. Quel langage la nature aurait-elle d’ailleurs parlé aux contemporains de Descartes ? Elle n’est pour eux qu’une machine inerte, un système de rouages et de ressorts. Où le poète moderne écoute le mystérieux battement de la vie universelle, ils n’entendent qu’un sec et monotone tic-tac d’horloge. Ils ne livrent à la nature rien d’eux-mêmes ; elle ne les trouble ni ne les console ; elle n’a pour eux ni secret ni confidence. Le seul sens qu’ils lui prêtent, c’est celui d’un grandiose et froid symbole ; ils en font l’ensemble des causes finales concourant à la démonstration de Dieu, suprême architecte et souverain administrateur du monde.

Tel est en effet le caractère du Dieu classique. Il s’impose à la raison, mais il n’habite point le cœur. Le xviie siècle est catholique, il n’est pas religieux. La piété y a quelque chose d’officiel ; la religion y est, non une foi vivante, mais un cérémonial. Elle apparaît avec un cortège de formes pompeuses qui peuvent faire illusion : elle commande l’hommage ; elle représente avec une imposante dignité, elle est la plus auguste institution de l’État. Louis XIV ordonne qu’on lui fasse un rapport sur les gentilshommes qui causent à la messe ; il prend soin de désigner lui-même aux princesses de son sang leur directeur de conscience, et les envoie se confesser à tout le moins cinq fois l’an. C’est un zèle sincère, mais borné à des pratiques d’où toute vie religieuse peut être absente. La dévotion du roi fait autour de lui un grand nombre de dévots : La Bruyère nous apprend ce qu’ils deviendraient sous un prince athée. L’aristocratie