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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/232

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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

et la discipline ajoute à la force réelle ce qu’elle ôte de forces capricieuses et factices. » C’est là le principe de son admiration pour le xviie siècle, et, dans le xviiIe siècle, pour les écrivains qui, comme Bossuet et Boileau, représentent l’autorité, pour les institutions qui, comme l’Académie française, s’appliquent à régenter les esprits, à maintenir les traditions, à conserver la langue, à garantir contre les fantaisies de la mode ou les écarts du « sens propre » cette raison générale qui est à ses yeux l’attribut caractéristique de notre race. Il est permis de regretter que cette conception ne puisse se concilier avec plus de largeur, mais il faut rendre hommage à ce qu’elle a de haut et de vigoureux.

À l’esprit catégorique et autoritaire de Nisard, qui ne fait de la critique que l’application d’une théorie rationnelle, s’oppose, dans Sainte-Beuve, l’intelligence la plus flexible, la plus ouverte, la plus dégagée de toute doctrine exclusive. L’un embrasse d’un seul coup d’œil toute notre histoire littéraire pour la ramener et, s’il le faut, pour la contraindre à l’unité abstraite qu’il poursuit ; l’autre pousse çà et là des pointes au hasard du moment, sans aucune suite, sans aucun plan d’ensemble et en apparence sans aucune méthode. L’un ne s’attaque qu’aux génies de premier ordre, et, faisant une œuvre essentiellement didactique, se défend de tout intérêt pour des auteurs dont la connaissance, inutile « aux esprits bien faits », pourrait être nuisible à « ceux qui ne sont pas formés ». L’autre est attentif aux moindres phénomènes de la vie littéraire, et son admiration pour les chefs-d’œuvre, dont il jouit plus discrètement, se concilie avec une curiosité toujours en éveil pour les écrivains de second ou même de troisième rang, comme nous faisant mieux connaître et l’esprit de leur époque et, par leur propre personne, cette humanité moyenne qui est le vrai domaine du moraliste. L’un juge avec autorité d’après des principes infaillibles ; l’autre se plie avec une souplesse merveilleuse à l’infinie multiplicité des talents : il est « comme