Aller au contenu

Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
L’ÉVOLUTION RÉALISTE.

bases, comment une discipline littéraire pourrait-elle se maintenir ? Cette fixité que nous chercherions en vain dans la philosophie ou dans la politique, comment la trouverions-nous dans le domaine des lettres ? Il n’y a pas, à vrai dire, d’école romantique, car toute école suppose un ensemble de règles acceptées par ceux qui s’y rattachent, et le propre du romantisme est justement de n’en reconnaître aucune. Ce qui unit les romantiques entre eux, ce ne fut pas la communauté de dogmes nouveaux, mais une même impatience des anciens dogmes. Alliés pour la lutte, ils se dispersèrent après la victoire, et l’esprit souffla où il voulut. Tandis que le classicisme établissait entre les divers genres une immuable hiérarchie, soumettait chacun d’eux à d’étroites observances, et, empruntant ses principes à ce qu’il y a de plus constant dans l’esprit humain, sacrifiait le mouvement à l’ordre, la fantaisie à la raison, le sens propre au sens commun, le romantisme varia à l’infini cet idéal du beau que les classiques avaient conçu comme un patron invariable, substitua la diversité des physionomies à l’unité du type, étudia les hommes pour en tirer, non un exemplaire unique de l’espèce, mais une multitude de portraits individuels, fut, dans sa plus haute portée, le triomphe du particulier sur le général, la représaille du moi, c’est-à-dire de l’imagination et de la sensibilité, contre le rationalisme à outrance qui supprimait en nous tout ce qu’il y a de mobile, d’ondoyant, de capricieux, en un mot de personnel. Il faut y voir, non point une doctrine littéraire, mais « un fait d’âme ».

Un fait d’âme, c’est ainsi que Victor Hugo l’appelle en protestant contre ce qu’avait de trop étroit la signification militante d’un mot que lui-même ne voulut jamais adopter. Un fait d’âme, rien de plus juste. Saisissons bien quel en est le sens, et nous n’aurons pas de peine à comprendre que le mouvement romantique se soit si vite épuisé.

Considéré comme un phénomène moral, le romantisme a pour caractère essentiel l’exaltation de toutes les facultés affectives. Ce n’est pas là un état régulier et durable, mais