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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/32

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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

senti le captivant attrait : à Bossey, « il ne pouvait se lasser d’en jouir » ; il criait de joie en découvrant le germe des graines que ses propres mains avaient semées. À Annecy. logé dans une chambre d’où s’aperçoit un coin de paysage, il est tout heureux d’avoir du vert devant ses fenêtres et fait de ce charmant aspect un nouveau bienfait de sa chère patronne. Toute sa vie il fut plus sensible aux charmes de la campagne qu’aux brillants spectacles d’un monde artificiel pour lequel il ne se sentait pas né. Un des plus doux souvenirs de sa jeunesse est d’avoir passé la nuit sur le bord de la Saône, dans l’enfoncement d’une terrasse, avec les cimes des arbres comme ciel de lit et le chant d’un rossignol pour bercer son sommeil.

C’est au milieu des rochers et des bois qu’il « écrit dans son cerveau ». À l’Ermitage, il fait de la forêt son cabinet de travail. Mais il n’est jamais plus heureux que s’il peut échapper à la peine de penser. Rien ne le charme autant que cette volupté de la rêverie, à laquelle l’inclinent doucement la solitude, le calme, les mille bruits eux-mêmes de la nature. Il adore ce qu’il appelle ses égarements, cette vie confuse qui lui fait perdre à moitié la conscience de lui-même comme si son être se dissolvait dans les objets environnants. Tantôt, assis au bord d’un lac, le bruit des vagues et l’agitation des eaux, fixant ses sens et chassant de son âme toute autre agitation, le plongent peu à peu dans des délices au sein desquelles la nuit le surprend sans qu’il s’en soit aperçu ; tantôt, étendu tout de son long dans une barque, les yeux tournés vers le ciel, il laisse dériver ses songes au gré de leur caprice comme sa barque au fil de l’eau. Rousseau apprit à ses contemporains le secret de cette rêverie que n’avait pas connue la saine raison du xviie siècle et dans laquelle la froide lucidité des philosophes et des algébristes contemporains ne voyait que d’incohérentes divagations. Elle entre avec lui dans noire littérature, elle s’inocule au génie français, elle ouvre à la poésie ces régions crépusculaires de lame, ce monde de mouvements obscurs, de sentiments confus et voilés, dont le romantisme chantera les