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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/35

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LES PRÉCURSEURS DU XIXe SIÈCLE.

mental à celui sur lequel Chateaubriand devait, quarante ans plus tard, fonder le romantisme.

À Jean-Jacques Rousseau il nous faut rattacher Bernardin de Saint-Pierre, comme celui de ses disciples par lequel s’est le mieux transmise l’influence littéraire et poétique que l’auteur de la Nouvelle Héloïse, des Rêveries et des Confessions devait exercer sur notre siècle, au moins dans ce qu’elle eut de plus délicat et de plus insinuant. Bernardin fut un Rousseau d’imagination tendre. Ce que nous admirons surtout chez Jean-Jacques, c’est la largeur, la plénitude, l’éclat, non pas monotone sans doute, mais uni et soutenu ; son style sûr et ferme manque de nuances et de reflets. Bernardin a la trempe moins forte mais plus souple ; il détaille avec plus de curiosité ; il ne recule pas devant les expressions les plus familières, les termes techniques ou d’un rare usage qui peuvent rendre exactement la teinte qu’il cherche et l’impression qu’il veut produire. Le premier parmi nos peintres de paysage, il a voyagé hors d’Europe. Notre littérature s’enrichit peu à peu en faisant de nouvelles découvertes : après les Alpes, voici les mornes de l’Île de France, en attendant les savanes et les forêts vierges de l’Amérique. Bernardin assied ses amants, non plus au bord des ruisseaux, dans les prairies et sous le feuillage des hêtres, mais à l’ombre des cocotiers, des bananiers et des citronniers en fleur, au pied des falaises, sur le rivage de l’océan. Son originalité, d’ailleurs, est moins encore dans le sujet de ses tableaux que dans sa manière de peindre. S’il pèche par monotonie, par faiblesse, par une sensibilité trop prompte aux effusions et qui dégénère souvent en sensiblerie, par un optimisme exubérant et indiscret qui ne va pas toujours sans fadeur, il porte dans ses descriptions de la nature une grâce caressante, une douceur d’émotion, une suavité d’harmonie, une tendresse de style qui en sont la marque propre, et c’est par là qu’il doit avoir, comme paysagiste, une place à part entre Jean-Jacques et Chateaubriand.