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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/357

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LE ROMAN.

Alphonse Daudet appartient à la même école que Zola, mais n’est pas de la même famille. Il y a de l’un à l’autre autant de dissemblance que peut en comporter entre deux romanciers de notre temps le naturalisme dont l’un et l’autre font profession. Profession ? Ce mot lui-même s’applique beaucoup mieux à Zola qu’à Daudet, qui n’a jamais eu de doctrine ; et, s’il fallait marquer trait par trait le contraste des deux natures, nous commencerions par opposer à ce que l’une a de réfléchi et de méthodique la spontanéité de l’autre, son insouciance de toute formule et sa vivacité primesautière, Zola procède, le mot est de Daudet lui-même, « comme son père l’ingénieur » ; il avance lentement et sûrement, il compose chaque jour ses trois ou quatre pages avec une régularité mécanique. Daudet fait moins ses romans qu’ils ne se font en lui-même ; quitte à revenir plus tard sur la première dictée de l’inspiration, il jette les idées et les événements sans se donner le temps d’une rédaction complète ni même correcte ; il écrit « à la grosse ». Tandis que Zola compulse les documents imprimés ou s’abandonne inconsciemment à ses instincts de divination, Daudet ne travaille guère que sur la réalité vivante, et tout son procédé consiste à fixer les impressions directes qu’il en recueille. L’un ne trahit rien de sa personne, et même, parmi tous les acteurs des Rougon-Macquart, nous n’en trouvons pas un seul pour lequel il témoigne quelque intérêt : l’autre se met tout entier dans son œuvre ; il commence par une sorte d’autobiographie, et, depuis le Petit Chose, on peut dire qu’il n’a pas cessé soit de se raconter lui-même, soit d’intéresser à ceux qu’il raconte non seulement sa curiosité, mais encore sa sympathie. L’un ne recule pas devant ce que le monde lui offre de plus ignoble ; il semble même s’y plaire, et son œuvre ne mérite guère le nom de réaliste que s’il suffit pour en être digne d’étaler aux yeux toutes les ignominies et toutes les ordures de la bestialité humaine : l’autre peint le mal avec non moins de force, en tenant à distance ce que la réalité a de trop cru ; sa délicatesse éprouve une insur-