Aller au contenu

Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Ce qui fait l’originalité caractéristique d’Alphonse Daudet, c’est qu’il unit dans une exquise mesure la poésie à la réalité. Il avait commencé par les vers : de jolis madrigaux, des élégies d’une gentillesse coquette, des riens précieux où se jouent sa fantaisie élégante et sa fine tendresse. Il y a loin des Amoureuses au Nabab ou à Sapho. Et pourtant, l’esprit de poésie qui les inspira à sa gracieuse adolescence, nous en retrouvons quelque chose dans les œuvres de sa forte maturité. Daudet a du poète ce que le mot laisse entendre de plus léger, et aussi de plus vif et de plus hardi. Sans même rappeler ces délicieuses créations qui respirent un charme si frais et si pur, cette Désirée Delobelle, l’humble et douce infirme, prêtant à ses rêves les ailes des oiseaux qu’elle vêt, la veine poétique se décèle jusque dans les livres les plus réalistes du romancier, non seulement par ce qu’il y met d’émotion personnelle et de sympathie humaine, mais encore par ce grain de romanesque qui donne plus de saveur au réel, par la délicatesse de son analyse psychologique, par sa répugnance pour les grossièretés de la physiologie, par la promptitude de son observation qui saisit les choses au vol, par la vivacité de son imagination qui se les représente avec un incomparable relief, par l’invention perpétuelle d’une langue qui se crée instantanément pour les rendre dans tout l’éclat de leurs couleurs comme dans toute la netteté de leurs contours.

Au style de Daudet l’on reconnaît encore l’improvisation. Sans doute, ce n’est pas son brouillon qu’il nous donne ; son brouillon, écrit à la hâte et sous le coup de je ne sais quelle fureur poétique, il en a réparé les omissions, effacé les taches, il l’a revu à plusieurs reprises, et, en recopiant, il retouche encore bien des phrases, il amende son œuvre et l’« affine ». Cette prose agile, qui semble ne lui avoir coûté aucune peine, c’est le triomphe d’un art savant et délié. L’écrivain nous a dit lui-même « sa méthode si lente et si consciencieuse » ; pour ne pas « céder à ce désir tyrannique de perfection qui fait reprendre aux artistes et recommencer dix fois, vingt fois, la même page »,