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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/41

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LES PRÉCURSEURS DU XIXe SIÈCLE.

pirant, Monime paraît avec des gants et un panier, Hippolyte se fait poudrer à blanc. Le héros tragique en lui-même n’a aucune vérité, il est « semblable à un mannequin dont tous les mouvements attestent par leur roideur les ressorts inanimés qui le font jouer ». L’action étouffe dans son espace de trente pieds carrés et dans sa durée de vingt-quatre heures : les unités la réduisent à une crise extrême et forcée qui ne permet ni aux faits ni aux personnages de prendre leur développement naturel. L’art dramatique est encore dans son enfance ; pour lui donner l’intérêt et la vérité qui lui manquent, il faut renoncer aux deux genres classiques, aux grossières caricatures de l’un comme aux froides idéalisations de l’autre, et les remplacer tous les deux par un genre nouveau qui représentera la vie humaine sous ses formes diverses avec toute son ampleur et toute sa variété. Ne voyons-nous pas « que le rire et le pleurer, ces deux émotions de l’âme, ont au fond la même origine, qu’elles touchent l’une à l’autre, qu’elles se fondent ensemble » ? Cessons de dire : Je veux faire rire dans cette pièce et faire pleurer dans cette autre. Soyons des peintres exacts et animés sans nous soucier des catégories d’une poétique artificielle. Mieux vaudraient les causes célèbres de Gayot découpées en scènes dans toute la grossièreté de leur style que les pompeuses infortunes, les sentiments ampoulés, le langage conventionnel des trois quarts de nos tragédies.

Le nouveau drame n’ira pas chercher dans l’antiquité des faits et des héros pour les dénaturer à plaisir. Il représentera sur la scène des personnages contemporains dans le milieu de la vie ordinaire, parfois des princes, plus souvent de simples bourgeois : les plus glorieux monarques de Perse ou d’Assyrie nous intéressent moins que les plus humbles gens de métier. Il aura tout le pathétique de la tragédie par ses scènes émouvantes et tout le charme naïf de la comédie par ses peintures de mœurs. Au lieu de s’assujettir à deux ou trois cents beaux esprits qui décorent leurs préjugés du nom de bon goût, il se fera réellement populaire aussi bien que national ; il sera pour nous ce que