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Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/52

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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Adèle et ses Mirza, comme ce sont les idées de l’Émile qui lui inspirent un peu plus tard son livre de l’Influence des passions sur le bonheur. Les Lettres sur Jean-Jacques respirent un enthousiasme exubérant que toutes les hyperboles de la rhétorique peuvent à peine satisfaire. Sans doute, elle n’admire pas Rousseau tout entier : cette prophétesse de perfectibilité ne peut se sentir en complet accord d’idées avec le philosophe qui voyait dans l’état de nature l’âge d’or du genre humain ; cette missionnaire de la liberté individuelle ne saurait adopter chez l’auteur du Contrat social des principes politiques dont la conséquence implacable est l’asservissement de l’individu à la société ; cette grande dame éprise de la vie mondaine, cette discoureuse éloquente dont l’esprit brille dans les salons, répugne à la sauvagerie misanthropique et solitaire où l’hypocondre Jean-Jacques s’était de bonne heure retranché. Ce qui passe tout naturellement de Rousseau en elle, c’est ce qu’il y avait chez lui de tendresse passionnée, d’expansion sentimentale, d’invincible confiance en la bonté native de l’homme. Elle répudie tout ce qui, dans la philosophie de son maître, est intolérance, pessimisme, défi d’un maniaque à la civilisation ; mais elle adopte tout ce que cette philosophie a de fortifiant, de consolateur, de propre à relever notre nature, tout ce qui peut s’accorder avec son optimisme inné, son ardeur généreuse et confiante, son rêve d’une humanité toujours plus heureuse et toujours meilleure, sa foi dans le triomphe définitif de la vérité sur l’erreur et du bien sur le mal.

C’est aussi de Jean-Jacques, auquel la rattachent d’ailleurs les affinités de la race et l’éducation religieuse, qu’elle tient un spiritualisme à l’épreuve du doute, à l’abri de toute défaillance. Quand elle débute, sa profession de foi est celle du vicaire savoyard. Profondément imbue de l’idée morale, elle est spiritualiste non seulement parce qu’elle croit en Dieu et en l’âme immatérielle, mais encore parce qu’elle conçoit une religion toute d’esprit et de sentiment qui n’a besoin ni de pompe ni de symboles, et qui est une