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Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 4.djvu/183

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ANCIENS MÉMOIRES

à ses dépens, en disant qu’il avoit plus l’air d’un bouvier que d’un gentilhomme, et qu’il avoit apparemment emprunté le cheval d’un meunier pour faire une course de cette importance. D’autres, qui connoissoient sa naissance, sa bravoure et son cœur, prenoient son party, soûtenans qu’il étoit le plus intrépide et le plus hardy chevalier de toute la province ; et qu’il alloit bientôt donner publiquement des preuves de son adresse et de sa force.

Bertrand qui prêtoit l’oreille à tout ce qu’on disoit de luy, se reprochoit intérieurement son méchant air et sa mauvaise mine, et desesperoit de pouvoir jamais plaire aux dames étant si mal fait : il pestoit aussi dans son ame contre la dureté de son père qui le négligeoit si fort, qu’il souffroit qu’il eût une si méchante monture dans une occasion de cet éclat. C’est ce qui l’engagea de prier un de ses cousins, qui se trouva là, de luy faire l’amitié de luy prêter son cheval, afin qu’il pût se démêler avec succès de l’action qu’il alloit entreprendre, l’assurant qu’il reconnoîtroit dans son temps ce bon office qu’il attendoit de son honnêteté. Ce parent ne balança point à luy faire ce petit plaisir, l’accommodant sur l’heure de ses armes et de son cheval. Bertrand se voyant dans un équipage assez leste et monté fort avantageusement, se présenta pour rompre une lance, tendant les mains au premier écuyer qui voudroit entrer en lice avec luy. L’un des plus braves de la troupe luy répondit par le même signe. La carriere étant ainsi réciproquement ouverte, Guesclin poussa son cheval avec tant de force et pointa sa lance avec tant d’adresse, qu’il donna juste dans la visiere de son adversaire et