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Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 4.djvu/338

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SUR DU GUESCLIN.

de Pierre, et la mettre sur celle d’Henry, dont les intérêts luy seroient à l’avenir plus chers que ceux d’un meurtrier et d’un prince juif, qui n’avoit aucun droit au sceptre d’Arragon.

Les choses étant ainsi concertées, Bertrand prit aussitôt congé du Duc, et fit faire à ses troupes de si longues traites, qu’elles se virent bientôt à la veille d’entrer dans l’Arragon. Leur marche se fit avec tant de bruit et tant de fracas, que Pierre en eut bientôt la nouvelle. Il l’apprit avec bien de la douleur, lors qu’il étoit à la tête de grand nombre d’Espagnols ravageant les terres d’Henry, portant la desolation, le fer et le feu dans tous les lieux qu’il sçavoit luy appartenir, et le cherchant luy même en personne pour en faire la victime de sa fureur. Ce pauvre prince, persecuté de tous cotez, se tenoit à couvert dans l’un de ses châteaux avec sa femme et ses enfans, appellant auprés de luy tout ce qu’il avoit d’amis et de creatures, pour tâcher de faire quelque diversion contre ce cruel Roi qui s’acharnoit à sa ruine ; mais quand il apprit l’arrivée de Bertrand avec tout son monde, il regarda ce secours comme un miraculeux effet de la protection du ciel en sa faveur, et se deroba secrettement du lieu dans lequel il s’étoit retiré, pour le venir trouver et luy remettre entre les mains le soin de sa personne et de ses intérêts, essayant, par des manières insinuantes, de l’échaufer en sa faveur. Guesclin l’embrassa tendrement, et luy fit une très sincere protestation qu’il ne remettroit jamais le pied en France, qu’auparavant il ne l’eût fait monter sur le trône d’Espagne, qu’il meritoit mieux que le renegat Pierre, qui s’en étoit rendu tout à fait indigne et par