Aller au contenu

Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 4.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
ANCIENS MÉMOIRES

fort fidelles, et qu’ils luy feroient plaisir de l’accompagner dans le voyage qu’il alloit entreprendre. Ils crûrent que cette demande étoit moins un piege qu’un effet de la confiance qu’il avoit en eux. Ils se firent donc un merite de s’acheminer avec luy ; mais aussitôt qu’il eut gagné la nuit dans sa route, il les fit tous pendre. Quand il eut fait cette cruelle execution, il voulut poursuivre sa marche ; mais la grande obscurité[1] le faisant tomber dans l’égarement, il se trouva fort embarrassé, donnant tout au travers des hayes et des fossez, sans sçavoir à quoy s’en tenir, et faisant mille imprecations contre son mauvais sort, tantôt reclamant le secours du ciel et tantôt celuy des demons.

On avoit beau luy remontrer les impietez qu’il commettoit, il demeuroit toujours endurci sans se laisser fléchir par les prières de ses amis, qui l’exhortoient de rentrer un peu en luy même et de reconnoître son Dieu dans le peril où il étoit. Le tonnerre vint au secours des hommes et gronda sur sa tête avec tant de fracas et de bruit, qu’on croyoit qu’il se rendroit à cet avertissement du ciel ; mais il ne fit pas seulement le signe de la croix et continua de vomir contre Dieu

  1. Et lors fist telle bruyne, que Pietre et ses gens ne savoient où ilz aloient, ou deçà, ou delà, ne ne trouvoient chemin ne sente. Adonc Pietre s’esmaya moult durement, et se recommanda plus de cent foiz à Dieu, et au deable comme tout desesperé. Et ses barons lui disoient : « Sire, ayez bon cuer, et Dieu et sa mere vous secourra et sauvera. Je ne scay, dist-il, comment la fortune en va : mais je me tieng à celui qui a le plus de puissance, soit de Deables ou Dieu ». Adonc vint deux tonnoirre, qui tonna tellement, que tous les plus hardiz trembloient de paour. Mais oncques Pietre ne s’en seigna de paour qu’il eust, et moult avoit le cuer courroucié et doulent. (Ménard, p. 219.)