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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/140

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CHAPITRE VII.

prendre en main la conduite de la guerre, et que les Athéniens, par dérision, leur envoyèrent Tyrtée. Mais il se trouva que cet humble personnage était un poëte de génie et un héros.

Je n’affirme pas que cette tradition ne soit point conforme à la réalité. Mais elle sent son merveilleux ; et il n’est pas étonnant qu’on y ait vu une sorte de mythe, plutôt qu’une véritable histoire. Ainsi, suivant certains critiques, l’expression que nous traduisons par maître d’école signifie non pas que Tyrtée enseignait à lire et à écrire aux petits enfants, mais qu’il était un maître en ce qui s’écrit, un maître de style, un écrivain, un poëte ayant ses disciples, comme Homère, comme Hésiode avaient eu les leurs. Quant à l’épithète de boiteux, c’est par corruption aussi, à les en croire, qu’on l’a entendue de la personne même du poëte. Elle ne marquait, dans l’origine, que le caractère particulier de la versification de Tyrtée. Tyrtée le boiteux, c’est Tyrtée le poëte élégiaque, celui dont la poésie marchait en distiques, portée sur deux vers de mesure inégale.

Ce qui est certain, c’est que Tyrtée était venu d’Athènes à Lacédémone, et qu’il rendit aux Spartiates, durant la lutte, de signalés services. Il apaisa par ses conseils les discordes qui troublaient la cité. Les Spartiates, dont l’ennemi avait envahi les domaines, demandaient à grands cris un nouveau partage des terres, c’est-à-dire un bouleversement social : Tyrtée les amena à renoncer à des prétentions insensées ; et l’intérêt suprême, la défense de l’indépendance nationale, fit taire, à sa voix, tous les intérêts privés, toutes les jalousies, toutes les passions mauvaises. Il ne reste malheureusement rien, peu s’en faut, de la fameuse élégie qui avait opéré ces merveilles, ou qui avait du moins contribué à les opérer. Les anciens la citent sous les titres d’Eunomie et de Politie, mots qui signifient, l’un, bonnes institutions, et l’autre, gouvernement de l’État.

Les Doriens du Péloponnèse n’étaient point des barbares. La culture de l’esprit tenait aussi une place dans leur éducation. Malgré la rudesse de leurs mœurs, ils aimaient la musique, et la poésie n’était jamais absente de leurs fêtes : « Dans les