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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/202

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CHAPITRE X.

naïve, savante dans la forme mais sans pédanterie, forte et vigoureuse quelquefois, doucement pathétique, gracieuse, et, comme l’héroïne d’Homère, mêlant une larme à son sourire.

Il y a d’autres raisons encore qui infirment l’authenticité de la plus grande partie des odes du recueil. Les auteurs anciens ont maintes fois cité Anacréon ; et, sur cent cinquante passages et plus qu’ils ont transcrits, c’est à peine si un seul appartient à un des poëmes que nous connaissons. Les personnages sont bien, par le nom, de ceux qu’Anacréon avait célébrés dans ses vers ; mais ces personnages semblent avoir perdu leur réalité individuelle, et n’être plus que des types sur lesquels se sont exercés à leur tour, et par un passe-temps purement littéraire, les poëtes anacréontiques. Tout a le même vague, le même air de lieu commun. C’est toujours l’éloge de l’amour ou du vin, la puissance du fils de Cypris, et d’autres sujets généraux, sans rien qui rappelle aucun événement particulier, et qui soit la marque propre du temps où vivait Anacréon. Or, le géographe Strabon dit positivement, à propos de Samos, que les poëmes d’Anacréon sont pleins d’allusions au tyran Polycrate. Il n’est pas jusqu’à l’Amour lui-même, dont les anacréontiques n’aient tracé des images assez peu conformes aux traits que lui donne le véritable Anacréon : « L’Amour, disait quelque part le poëte, m’a frappé, comme eût fait un forgeron, de sa grande cognée, et il m’a fait prendre un bain dans le torrent glacé. » On voit que le maître devant lequel tremblait Anacréon était un peu plus redoutable que le petit dieu malin des anacréontiques. Enfin, des critiques habiles ont remarqué, dans la plupart des odes du recueil, des imperfections de toute sorte : ici, la diction est prosaïque et presque barbare ; là, les lois de la versification n’ont pas été respectées ; plus loin, il y a autre chose. Mais ce qui frappe au premier coup d’œil, c’est, dans les fragments qui suivent les pièces entières, c’est-à-dire dans ce qui est incontestablement d’Anacréon, une infinie variété de mètres, et dans les odes, au contraire, la monotone répétition du petit vers ïambique dimètre catalectique, le plus simple, le plus facile, et on peut dire le plus