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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/21

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PRÉLIMINAIRES.

distingués par l’écriture pour les confondre par la parole. Il y a eu certainement un temps où chacune de ces voyelles, chacune de ces diphtongues, chacun de ces tons divers avait sa valeur propre, comme il y a eu un temps où telles combinaisons de notre écriture, qui disparaissent dans l’énonciation des mots, comptaient à la fois et pour l’orthographe et pour les articulations de la voix.

Les mots, dans la langue grecque, et en général dans les langues de l’antiquité, avec leurs inflexions et les désinences variées de leurs cas, s’avançaient, suivant l’heureuse expression d’Otfried Müller, comme des corps vivants, tandis que nous les voyons réduits, dans la plupart des langues modernes, à l’état de vrais squelettes. Le même auteur compare la phrase antique, dont toutes les parties se rangent symétriquement et sans effort en vertu de leur nature et des convenances, à un bâtiment bien construit, bien ordonné, et dont notre œil admire les justes proportions. Dans les langues, dit-il encore, qui ont perdu leurs inflexions grammaticales, ou bien la vive expression du sentiment est empêchée par une invariable et monotone disposition des mots, ou bien l’auditeur est forcé de serrer son attention afin de saisir la relation mutuelle des divers membres de la phrase. Ce dernier défaut est, de l’aveu des Allemands eux-mêmes, le vice capital de la langue allemande : l’autre défaut est celui des langues néo-latines. La langue grecque n’avait ni l’obscurité de l’allemand ni la clarté un peu vulgaire des idiomes nés du latin : l’écrivain y trouvait à la fois et la discipline qui prévient les écarts trop dangereux, et cette liberté d’allure sans laquelle le génie même le plus heureux ne saurait atteindre toujours à la traduction satisfaisante et complète de tous les mouvements du cœur et de la pensée.

Cette esquisse, si grossière qu’elle soit, suffit pour rappeler au lecteur les admirables perfections de la langue grecque. Mais avant de passer à l’étude de ce qui est proprement notre sujet, il nous reste à présenter quelques observations sur un point qui n’importe pas médiocrement à l’intelligence saine et vraie des premières œuvres du génie antique.