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CHAPITRE XIX.

un habile usage du troisième interlocuteur. C’est par le dialogue à trois qu’il aima à faire saillir les oppositions de caractères, et à mettre dans toute sa lumière la grandeur du principal personnage. Chrysothémis à côté d’Électre, Ismène à côté d’Antigone, ont une valeur poétique, dans l’économie de la fable, que le système dramatique d’Eschyle n’aurait pu leur donner. Quant au dialogue à deux, je ne saurais faire de Sophocle un plus bel éloge qu’en disant qu’il a dignement suivi les traditions d’Eschyle.


Tragédies de Sophocle.


Sophocle avait composé plus de cent pièces de théâtre. Il nous reste sept tragédies, qui sont toutes des ouvrages de son âge mûr ou de sa vieillesse, et dont la plupart ont été citées par les anciens au nombre de ses chefs-d’œuvre. Dans l’ordre chronologique, ou de composition, ces tragédies se rangent comme il suit : Antigone, Électre, les Trachiniennes, Œdipe-Roi, Ajax, Philoctète, Œdipe à Colone. Les fragments des autres pièces, tragédies on drames satyriques, ne sont pas très-considérables.

Quelle que soit la date à laquelle on fixe la naissance de Sophocle, il avait plus de cinquante ans à l’époque de la représentation de l’Antigone ; et cette pièce, selon un témoignage authentique, était déjà la trente-deuxième de celles qu’il avait fait représenter. Elle fut mise au théâtre vers les années 442 ou 440 avant notre ère. Tout nous prouve qu’elle eut un prodigieux succès.

Antigone se dévoue à la mort, pour rendre à son frère Polynice les honneurs de la sépulture. C’est la femme-héros ; mais, malgré la décision et l’austérité de son caractère, c’est la femme encore. Son âme est tout entière dans sa réponse à Créon, à propos du crime commis par Polynice contre Thèbes : « Mon cœur est fait pour aimer, non pour haïr[1]. » Quand sa mort est décidée, elle pleure sa jeunesse, elle pleure les joies de la vie et les douceurs inconnues d’un

  1. Antigone, vers 523