Aller au contenu

Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
EURIPIDE.

prouve aussi. Debout sur nos pieds, nos nerfs nous tiraillent je ne sais pourquoi. 2e DEMI-CHŒUR. Vraiment ? 1er DEMI-CHŒUR. Et nos yeux sont pleins de poussière ou de cendre, venue je ne sais d’où. »

Ulysse gourmande leur lâcheté : ils répondent en invoquant l’intérêt de leur peau ; ils disent connaître un chant d’Orphée, qui suffira d’ailleurs à l’affaire, et qui mettra seul le tison en branle. Ulysse les quitte, et court dans la caverne. Alors ils retrouvent toute la bravoure de leurs paroles, et ils encouragent, par de vives exhortations, ceux qui font pour eux la besogne. Ils s’amusent ensuite du cyclope aveuglé, et ils tirent bon parti de l’équivoque inventée par Ulysse. Le nom de Personne fournit une scène d’un comique fort gai, que complète le tableau des tâtonnements du cyclope et de ses fureurs impuissantes.

Je ne prétends pas mettre cette bluette dramatique au rang des chefs-d’œuvre. Mais la marche de la pièce est vive, les caractères nettement esquissés, la diction pleine d’entrain. C’est une lecture fort agréable, et qui n’exige aucun de ces efforts auxquels nous sommes réduits à nous condamner pour pénétrer le sens des vers d’Aristophane, trop souvent impénétrable à notre ignorance. Ce n’est pas tout à fait de la comédie ; c’est encore moins de la tragédie, malgré les noms des personnages : c’est un je ne sais quoi qui n’est ni sans mérite ni sans charme.

Revenons aux tragédies.


Génie dramatique d’Euripide.


Je ne partage aucune des préventions qui ont armé W. Schlegel contre Euripide, et dont d’autres critiques plus bienveillants n’ont pas su tout à fait se défendre. Je ne ferme cependant pas les yeux sur les grands et nombreux défauts que présentent la plupart de ses pièces, encore que ces défauts soient amplement compensés par des qualités admirables. Je conviens donc qu’Euripide a eu tort de sacrifier quelquefois l’unité d’action au désir d’entasser les incidents et les catastrophes ; que la gradation des scènes n’est pas toujours