Aller au contenu

Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/380

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
CHAPITRE XXVII. SOCRATE.

c’est de s’emparer d’abord des idées admises généralement comme évidentes, mais à condition de les dégager insensiblement de tout impur alliage, et d’amener les auditeurs à ce qui est essentiellement vrai, bon et juste : « Dans toute discussion, il procédait, dit Xénophon, par les principes le plus généralement avoués, persuadé que c’était une méthode infaillible. Aussi n’ai-je connu personne qui sût mieux amener ses auditeurs à reconnaître les vérités qu’il voulait leur démontrer. C’est, disait-il, parce qu’Ulysse savait déduire ses preuves des idées reçues par ceux qui l’écoutaient, qu’Homère a dit de lui qu’il était un orateur sûr de sa cause[1]. » Platon a trop mêlé ses propres conceptions aux idées qu’il avait reçues de son maître, pour qu’on puisse distinguer avec certitude tout ce qu’il y a de vraiment socratique dans ses dialogues, même dans les plus socratiques. On sent toutefois assez souvent que ce que dit le Socrate du dialogue, Socrate vivant non-seulement a pu, mais a dû le dire. Ainsi, c’est bien Socrate qui a dû dire ces paroles que Platon lui fait prononcer dans le Gorgias : « Le bon orateur, celui qui se conduit selon les règles de l’art, visera toujours à ce but, la justice, et dans les discours qu’il adressera aux âmes, et dans toutes ses actions ; et, soit qu’il accorde, soit qu’il enlève quelque chose au peuple, il l’accordera ou il l’enlèvera par le même motif, son esprit étant sans cesse occupé de faire naître la justice dans l’âme des citoyens et d’en bannir l’injustice ; d’y faire germer la tempérance et d’en écarter l’intempérance ; d’y introduire enfin toutes les vertus et d’en exclure tous les vices. »

L’homme qui avait démasqué les sophistes, et qui avait consacré sa vie à la pratique de toutes les vertus, à la recherche et à l’enseignement de la vérité ; l’homme qui croyait que l’art n’est rien sans le beau, ni l’éloquence sans le juste, méritait mille fois de boire la ciguë ; et il la but. Un poëte tragique sans talent, un richard méchant ou fanatique et un démagogue éhonté s’associèrent pour l’accusation. Socrate fut condamné ; mais Mélitus, Anytus et Lycon ne tuèrent pas les idées de Socrate.

  1. Xénophon, Mémoires de Socrate, livre IV, chapitre VI.