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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/389

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ORATEURS DE LA FIN DU CINQUIÈME SIÈCLE AV. J. C.

l’idée d’une éloquence sans enthousiasme et sans pathétique. Lysias avait écrit pour Socrate accusé un discours apologétique, que Socrate refusa. Si nous ne connaissions pas les motifs de ce refus, nous serions tentés de supposer que Socrate se défiait de l’éloquence de son ami, et qu’il ne se souciait pas d’être défendu par le froid accusateur d’Ératosthène.

Depuis que ceci a été imprimé pour la première fois, un professeur de l’Université, M. Jules Girard, a écrit, au sujet de l’atticisme de Lysias, une ingénieuse et savante dissertation. M. Girard ne tente point, contre nature, de faire de Lysias un prototype de Démosthène : il insiste avec raison sur les vraies qualités de l’écrivain, sur les services que Lysias avait rendus au bon goût par ses exemples, sur le charme de son style, sur l’admirable pureté de sa diction. Il ne m’en coûte rien d’admettre les résultats de cette étude approfondie. Tout ce que j’ai prétendu, c’est que Lysias ne remplit point l’idée que nous sommes en droit de nous faire de l’éloquence complète, du complet orateur. M. Girard le dit comme moi. Seulement il fait ses réserves en faveur de l’homme à qui l’éloquence a dû de pouvoir atteindre à la perfection du style oratoire. Après avoir montré ce qui distingue éminemment l’art grec et la poésie grecque : « L’éloquence athénienne, dit-il, si on se la représente à son plus haut degré de perfection, offre les mêmes caractères de précision, de beauté et de grandeur. C’est l’accord d’une pensée juste et belle avec une expression juste et belle. Les Athéniens jouissent alors avec bonheur de cette puissance d’une langue qui rend immédiatement, sans effort et sans détour, chacune des beautés, chacune des délicatesses de la pensée qu’elle traduit ; tant les rapports des mots et des idées sont exacts, tant leur union est intime ! si bien que l’harmonie des paroles fait saisir en même temps cette harmonie immatérielle des idées qui est la musique de l’âme. Cet idéal sublime n’est point dans Lysias : ni la nature de ses œuvres ni celle de son esprit ne le comportaient. Mais, s’il fut donné quelquefois à ses successeurs de l’atteindre, ils en furent en partie redevables à celui dont ils ne purent surpasser l’élégante précision