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XÉNOPHON.

dégénérée. Cyrus est le portrait non moins idéal de l’homme digne de commander à des hommes. Malgré le charme de cette production singulière, on ne saurait trop s’empêcher de regretter que Xénophon, qui devait si bien connaître la Perse et ses annales, ne nous ait pas donné simplement l’histoire authentique de la vie et des conquêtes de Cyrus.


Éloquence de Xénophon.


Si Xénophon avait fait, comme Lysias, le métier d’orateur, il aurait eu, dans la postérité, le sort de Lysias. On ne le lirait plus aujourd’hui. Ce n’est pas qu’il soit aussi étranger à la vraie éloquence que le fils de Céphale. Je prétends seulement qu’il n’avait ni cette passion ardente ni cet enthousiasme véhément, sans lesquels les discours les plus travaillés, j’entends les grands discours oratoires, ne sont rien que cendre et poussière. Mais son âme honnête, pleine de l’amour du bien et du beau, a trouvé plus d’une fois des accents pathétiques, pour flétrir les actions viles ou les coupables pensées, pour célébrer l’héroïsme et la vertu. Il y a même telle courte harangue où il s’est élevé jusqu’à l’éloquence, en laissant parler toute seule son indignation contre les lâches. Voyez, par exemple, avec quelle énergie il repousse, dans l’Anabase, la proposition que faisait aux Grecs le Béotien Apollonide. Il n’y avait, selon ce cœur pusillanime, d’autre salut pour les Dix Mille, après la trahison de Tissapherne, que de se rendre à Artaxerxès et d’implorer sa clémence : « Ô très-étonnant personnage ! s’écrie Xénophon ; quoi ! tu ne comprends pas ce que tu vois, tu ne te souviens pas de ce que tu entends ! Et pourtant tu étais avec nous quand le roi, après la mort de Cyrus, enorgueilli de sa bonne fortune, envoya nous commander de mettre bas les armes. Au lieu de les mettre bas, nous nous en couvrîmes, et nous allâmes planter nos tentes près de lui. À ce défi, que répondit-il ? Que ne fit-il pas pour obtenir la paix ? il envoya des députés, il sollicita notre alliance, et il nous fournit des vivres jusqu’à ce que le traité eût été conclu. Puis, nos généraux, nos chefs de bande, confiants dans la foi du traité, sont allés sans armes