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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/404

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CHAPITRE XXX.

lent Philalèthe, Pamphile, un Chrétien, un Chinois, etc., ou, plus simplement et avec plus de vérité encore, A, B, C. Fénelon et Malebranche eux-mêmes, malgré leur génie, ne sont jamais sortis des errements vulgaires. S’ils ont dérobé quelque chose à Platon, ce n’est pas l’art de créer ou de reproduire de vrais personnages. Les dialogues de Platon n’ont rien de commun avec leurs prétendus dialogues. Ce sont des compositions dramatiques dans toute la force du terme, ayant leur cadre bien dessiné, leur nœud, leurs péripéties et leur dénoûment. Même dans les dialogues où Platon s’est plus préoccupé de la pensée que de la forme, dans ceux qui sont par excellence des œuvres philosophiques, dans le Parménide, dans le Timée, jamais Platon n’a manqué aux conditions essentielles du genre ; et les hommes qu’il y met aux prises sont bien réellement des hommes, et ceux-là même dont ils portent les noms, Socrate, Parménide, Zénon, Timée, Critias et les autres. Si la conversation n’est pas vraie, elle est vraisemblable ; si ces hommes n’ont pas parlé ainsi, ils ont pu parler ainsi ; enfin si Platon a élevé à une sorte d’idéal leurs caractères, leurs pensées, leur langage, il ne leur a rien ôté de leur vie, de ce qui les rend reconnaissables, intéressants même, en dehors des doctrines que chacun d’eux représente. Mais c’est surtout dans les dialogues où le philosophe traite des sujets à la portée de tous qu’il a déployé, avec un art incomparable, toutes les ressources de ce génie dramatique que la nature lui avait si richement départi.


Le Phédon.


Socrate, à la fin du Banquet, force Aristophane et Agathon à reconnaître qu’il appartient au même homme d’être à la fois poëte tragique et poëte comique. On dirait que Platon, en contredisant ainsi les opinions reçues, songeait à ce qu’il sentait en lui-même. Il y a en effet chez lui cette double veine, ce double talent, qu’il prêtait indistinctement à tous les auteurs dramatiques. Le Phédon, par exemple, est une tragédie que je ne crains pas de mettre en parallèle, pour la conduite et même pour l’intérêt, avec les plus belles œuvres du théâtre