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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/479

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DEUX PHILOSOPHES POËTES.

quait impitoyablement de toutes les doctrines qui n’étaient pas la sienne, et il ne ménageait pas plus les personnes que les choses mêmes. Ses satires étaient écrites en hexamètres ; et il parodiait de temps en temps, à l’adresse des philosophes, les vers les plus célèbres des anciens poëtes. Deux livres des Silles, le second et le troisième, étaient dialogués ; mais, dans le premier livre, Timon attaquait directement, et en son propre nom. Je vais citer quelques-uns des jugements de ce spirituel et redoutable frondeur. Il dit de Platon : « À leur tête marchait le plus large[1] d’eux tous, un agréable parleur, rival, par ses écrits, des cigales qui font retentir leurs chants harmonieux, posées sur les arbres d’Hécadémus. » On reconnaît ici la comparaison d’Homère à propos des vieillards qui causent entre eux sur les remparts de Troie. Il dit de Socrate : « C’est d’eux que descend ce tailleur de pierres, ce raisonneur légiste, cet enchanteur de la Grèce, ce subtil discuteur, ce railleur, cet imposteur pédant, cet attique raffiné. » Il se moque de tout et de tous avec une liberté de langage qui rappelle les comiques du temps d’Aristophane, et avec cette verve et cet entrain sans lesquels la satire, surtout la satire philosophique, n’est plus rien que glace et ennui. Je remarque ici qu’il ne faut pas confondre Timon le sillographe avec Timon le misanthrope, fameux par ses bons mots. Celui-ci vivait à Athènes plus d’un siècle avant l’auteur des Silles. Je remarque aussi que Timon de Phliunte n’était pas le premier poëte qui eût réussi dans la critique sarcastique des philosophes et des doctrines. Ménippe, né à Gadares en Phénicie, lui avait donné l’exemple. Ce Ménippe était un cynique de l’école de Diogène. Il s’était beaucoup moqué de Platon, d’Aristote, de tous ses contemporains les plus célèbres, et il avait fait lire ses écrits, où s’entremêlaient agréablement la prose et les vers. Il ne reste rien ni de ses vers ni de sa prose ; mais on donne encore aujourd’hui le nom de ménippées aux satires, philosophiques ou non, dont les auteurs passent alternativement, comme faisait Ménippe, du langage ordinaire aux mètres de la poésie, et des mètres de la poésie au langage

  1. Allusion au nom de Platon, qui signifie large.