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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/51

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LES RHAPSODES.

encore connues sous le nom de caractères phéniciens. Mais les Grecs n’ont jamais eu de mot particulier pour désigner les caractères de l’alphabet : on se servait de termes généraux, comme éléments, dessins, etc. Il n’est pas très-étonnant que, pour se faire entendre, on y ajoutât des épithètes ; et, tant qu’on ne se servit que des seize cadméennes, c’est-à-dire jusqu’à la fin du sixième siècle avant notre ère, l’épithète de phéniciennes convenait parfaitement à ces lettres. La désuétude où tomba cette appellation, soit comme simple adjectif, soit prise substantivement, s’explique par l’invention des lettres nouvelles, qui ont grossi d’un tiers, peu à peu il est vrai, l’alphabet assez indigent venu de Phénicie. Quant à la date de l’importation, elle reste problématique ; mais la tradition qui fait remonter jusqu’au temps de Cadmus, c’est-à-dire jusqu’au seizième siècle avant notre ère, cet événement considérable, a plus de vraisemblance, à mon avis, et mérite plus de créance qu’un système arbitraire qui le ramène en deçà du commencement des Olympiades. Si tout n’est pas historiquement vrai dans la tradition qui concerne Cadmus, le fond même de la légende est inattaquable ; et l’idée qui fait le fond de cette légende, c’est la haute antiquité de l’importation des lettres phéniciennes en Grèce.

On ne prétend pas que le silence d’Homère sur l’écriture soit un silence absolu, ce serait chose impossible. Il y a au moins un passage où il s’agit certainement d’écriture ; mais on soutient que ce n’est point d’une écriture alphabétique. Voici ce passage fameux ; et je le traduis aussi littéralement qu’il m’est possible : "Prœtus envoya Bellérophon en Lycie, et lui donna des signes funestes, ayant écrit sur une tablette bien pliée beaucoup de choses qui devaient lui faire perdre la vie ; et il lui recommanda de présenter la missive à son beau-père Iobatès, afin que Bellérophon pérît[1]."

Je n’ai jamais pu voir dans ces paroles autre chose que ce qu’y a vu presque toute l’antiquité. Il s’agit là d’une lettre en bonne et due forme, et fort détaillée encore, et suffisamment explicite pour pouvoir déterminer Iobatès à un crime contre

  1. Iliade, chant VI, vers 167 et suivants.