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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/78

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CHAPITRE IV.

Voltaire écrit quelque part : « Homère n’a jamais fait répandre de pleurs. Le vrai poëte est, à ce qu’il me semble, celui qui remue l’âme et qui l’attendrit ; les autres sont de beaux parleurs. » Il est vrai que Voltaire trouvait le discours de Priam très-imparfait, et qu’il a même refait en entier toute la scène entre Priam et Achille. Mais nous n’avons pas les mêmes raisons que lui pour trouver ses corrections excellentes, et nous n’en avons aucune pour nous mentir à nous-mêmes en niant qu’Homère ait connu le pathétique. On cite des jugements ineptes, on ne les discute pas. On ne démontre pas par des raisonnements qu’Homère est autre chose qu’un beau parleur, et qu’il a fait répandre des larmes.

Je ne veux point quitter Achille sans transcrire un autre passage, moins célèbre que celui qu’on vient de lire, mais non moins caractéristique, et où se révèlent déjà les plus nobles instincts de l’âme du héros :

« Cependant Antilochus aux pieds rapides vient apporter la nouvelle à Achille. Il le trouva devant les navires aux extrémités relevées, appréhendant en lui-même ce qui était déjà accompli. Il gémissait, et disait à son cœur magnanime : »

« Hélas ! pourquoi les Achéens à la longue chevelure courent-ils effrayés à travers la plaine, fuyant de nouveau vers les navires ? Je crains que les dieux n’aient accompli les malheurs que mon cœur redoute ; car ma mère me conta jadis et me prédit que le plus brave des Myrmidons quitterait, moi vivant encore, la lumière du soleil, sous les coups des Troyens. Ah ! sans doute, le vaillant fils de Ménoetius est mort ! Le malheureux ! je lui avais pourtant bien recommandé de revenir vers les vaisseaux, après avoir repoussé le feu destructeur, et de ne pas lutter bravement contre Hector. »

« Tandis qu’il roulait ces pensées dans son esprit et dans son cœur, le fils du vénérable Nestor s’approche, versant des larmes brûlantes, et lui annonce la douloureuse nouvelle : »

« Hélas ! fils du belliqueux Pélée, tu vas apprendre un bien funeste événement, certes, et qui n’aurait point dû arriver.