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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/90

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CHAPITRE IV.

la lutte de la lumière contre les ténèbres de la nuit, que ces cinquante mille guerriers qui frémissent d’impatience en attendant le retour de l’aurore.

Il y a un monument fameux de la vaste idée que les Grecs se faisaient du génie d’Homère. C’est l’apothéose du poëte par le sculpteur Archélaüs de Priène, fils d’Apollonius. Millin a reproduit ce bas-relief, un des plus beaux ouvrages antiques qui soient à Rome. Homère est couronné par le Temps et par l’Univers ; il reçoit les vœux et les sacrifices de Mythus, personnification de la parole ; et neuf autres figures symboliques l’honorent en levant vers lui leurs bras ou en poussant des exclamations. On voit dans ce groupe la Poésie, cela va sans dire, et aussi la Tragédie et la Comédie. Mais ce n’est pas tout. L’Histoire, la Vertu, la Mémoire et la Fidélité y sont avec elles ; et c’est en leur nom pareillement que Mythus s’apprête à verser les libations et à faire égorger la victime qui attend près de l’autel, au pied du trône où Homère se réjouit dans sa gloire, assisté de ses deux filles immortelles, l’Iliade et l’Odyssée.


Homère jugé par les moralistes.


Je ne suis donc pas surpris du peu de succès qu’a eu, dans l’antiquité, la sévère critique à laquelle Platon soumet les principes de la morale d’Homère. Le poëte qui avait si bien fait parler les douleurs et les joies, et qui avait jeté sur le monde un coup d’œil si profond et développé d’une main si sûre les replis du cœur humain, conserva pendant des siècles, en dépit de la philosophie dogmatique, le renom de moraliste par excellence, que lui avait décerné l’admiration naïve des vieux âges. Mille ans après Homère, Horace écrivait à son ami Lollius : « J’ai relu à Préneste le poëte de la guerre de Troie, qui dit, plus complètement et mieux que Chrysippe et Crantor, ce qui est beau ou honteux, ce qui est utile ou ne l’est pas. » Et il développe sa thèse en faisant ressortir le sens moral de quelques-unes des principales inventions du poëte. Bien longtemps après Horace, et en plein christianisme, on reconnaissait encore,