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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/92

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CHAPITRE IV.

ractères où il se reconnaît, par la peinture vivante de ses pensées, de ses sentiments, de ses passions, c’est lui donner un enseignement d’exemple, c’est aider à son éducation tout autant que travailler à son plaisir. C’est par l’expérience que l’homme se façonne, bien plus que par les préceptes. Il y a d’autres moralistes que ceux qui mettent l’enseigne de médecins des maladies de l’âme. Peu importe qu’on leur reproche de n’avoir pas de système, s’ils ont su lever un coin du voile qui nous dérobe à nos yeux. Toute poésie vraiment digne de ce nom est, en définitive, une interprétation du texte éternel des méditations de l’esprit, à savoir, Dieu, l’homme et la nature ; c’est la glose populaire des principes dont la philosophie est l’abstraite et savante expression. Ouvrez Homère au hasard, et vous verrez si jamais lui manquent le solide et l’utile. Ce n’est pas seulement à chatouiller le cœur ou l’oreille qu’il visait, celui qui répand ainsi à pleines mains les vérités qu’il puise dans le trésor de son génie.


Style d’Homère.


Les rhéteurs étaient bien plus fondés encore que les moralistes à chercher dans Homère des exemples et des préceptes. Ses héros en remontreraient, suivant Quintilien même, aux plus consommés orateurs, sur ce qui fait la puissance, la force irrésistible d’un discours. C’est qu’en effet la rhétorique de la nature vaut pour le moins celle des rhéteurs. Dès qu’un homme dit ce qu’il doit dire, et tout ce qu’il doit dire, et comme il le doit dire, rien ne manque à son éloquence. L’art ne franchit pas ces colonnes d’Hercule, et Homère y a touché du premier bond. Essayez, par exemple, de découvrir dans le discours de Priam à Achille aucune faute contre ces règles dont les rhéteurs, depuis Gorgias, font si ridiculement tant de bruit.

Je ne prétends pas que l’art fût, chez Homère, un pur instinct ; je dis seulement qu’on ne l’y saurait distinguer de la nature. C’est la nature ayant conscience d’elle-même, se possédant par la réflexion, se projetant ensuite au dehors et se manifestant aux yeux. Dans l’Iliade et dans l’Odyssée,