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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/114

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LA RÉUNION

Tout moyen de protester leur était enlevé du fait même que leur nationalité n’existait plus. En les réformant, la République, fatalement, devait les « franciser ».

C’est à des Français de France, en effet, que fut confiée la tâche de mettre en action les institutions nouvelles. Tous les postes les plus importants leur furent attribués. À côté des quelques Belges ralliés au régime et qu’ils ont mission de surveiller et d’initier à leur besogne, ils remplissent les fonctions de commissaires nationaux, d’administrateurs des départements, de juges, de percepteurs des impôts, d’agents des douanes, d’officiers d’état-civil. Ils occupent les bureaux des administrations et l’on en trouve jusque dans ceux des municipalités. Partout, avec les nouveaux usages administratifs, ils introduisent leur langue. Dans les régions flamandes, ils la substituent à l’idiome national. « Les agents des communes rurales, écrit le ministre de l’Intérieur en 1796, qui ne savent pas la langue française… sont incapables de remplir leurs fonctions et doivent être remplacés »[1]. Et parmi les étrangers chez qui le gouvernement recrute son personnel, que d’éléments suspects ! « La République, dit Bouteville, a longtemps et trop longtemps vomi ce qu’elle avait de plus impur dans la ci-devant Belgique »[2]. Et il s’en prend surtout aux agents militaires de toute espèce à qui l’on a bien dû s’adresser, et dont le style et l’orthographe ont laissé parfois de si curieux spécimens dans les archives.

Il faut reconnaître d’ailleurs que dans son ensemble, l’administration républicaine est active, zélée, intelligente. On reste confondu devant l’énormité du travail accompli par elle dans un pays où tout était à faire. Au surplus, elle n’est ni rogue, ni pédantesque, ni brutale. Quantité de ses agents se sont fixés en Belgique, y ont pris femme et y ont fondé des familles par lesquelles leurs idées et leurs mœurs s’infiltrent dans la nation. Néanmoins, le dédain railleur qu’ils affichent pour les usages et surtout pour les croyances du peuple,

  1. Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 331.
  2. Bulletin de la Commission royale d’Histoire, 4e série, t. IV [1877] p. 58.