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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/213

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LA FRANCISATION LINGUISTIQUE

bureaux des préfectures, des municipalités, de tous les chefs des grands services de l’État comme dans les greffes des tribunaux, non seulement les fonctionnaires ne correspondent et ne tiennent les écritures qu’en français, mais très souvent, étant eux-mêmes Français d’origine, ils ne savent point d’autre langue. C’est en français que délibèrent les Conseils Généraux des départements ainsi que les Conseils communaux, que les juges rendent leurs sentences et que plaident les avocats. Et bientôt, le français débordant au dehors, multiplie ses emprises sur la vie sociale. Aux yeux de beaucoup de préfets, c’est un devoir que d’extirper l’usage de l’idiome national. À Anvers, Voyer d’Argenson est « ardent » à interdire les publications périodiques en langue flamande[1]. Dans l’Escaut, ses collègues se signalent par l’intransigeance de leur zèle. En 1806, Faipoult ordonne la fermeture de tous les théâtres flamands du département. D’Houdetot oblige l’éditeur de la Gazette van Gent à publier désormais son journal en français, interdit, en 1810, l’impression de tout livre et de tout journal en flamand et, en 1812, impose la traduction du nom des rues et jusqu’à celle des inscriptions peintes sur les enseignes[2]. Mais cette persécution administrative ne fut pas générale. La plupart du temps les préfets se bornèrent à bannir le flamand de l’usage officiel. Les vieilles sociétés de rhétorique continuèrent à subsister et à organiser des concours entre leurs membres[3]. On y rima, dans une langue déplorablement abâtardie, les victoires de l’empereur. D’autre part, le clergé continuait d’enseigner le catéchisme et de prêcher, au moins à la campagne, dans la langue du peuple, qui apparut ainsi solidaire de la religion. La poésie pieuse qui avait inspiré au XVIIe siècle le Masker van de Wereld du jésuite Poirters (1646) continua de trouver des lecteurs. C’est à elle que se

  1. Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 270.
  2. F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. V. p. 9 et suiv.
  3. En 1812, à Gand, on rouvre la chambre de rhétorique de Fonteyne et J.-F. Willems y remporte un prix pour un poème sur la bataille de Friedland. En 1805 et 1806, E.-D. van Daele fit paraître sous le pseudonyme de Vaillant, un périodique, Tijdverdrijf, consacré à l’étude de la langue flamande.