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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/242

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LA NOUVELLE BARRIÈRE

Mais ils ne s’unissaient que dans ce désir. En supposant qu’ils eussent été capables de secouer le joug napoléonien, que lui auraient-ils substitué ?

Le clergé et les vieux conservateurs ne cachaient pas leur regret de l’Ancien Régime. Mais contre eux s’élevaient avec force les jeunes gens élevés dans le culte des droits de l’homme et la nouvelle classe des industriels et des acheteurs de biens nationaux. Entre les deux partis, l’opposition était aussi nette et aussi absolue que celle qui, mettant jadis aux prises vonckistes et statistes, avait amené le lamentable échec de la révolution brabançonne. Les passions politiques étouffaient le sentiment national et ne lui permettaient pas d’entraîner les masses dans le même mouvement. On aspirait à l’indépendance, et l’impossibilité où l’on se trouvait de la concevoir de la même manière faisait renoncer à y atteindre.

Les alliés, au surplus, préféraient qu’il en fût ainsi. Ils n’avaient appelé les Belges à l’aide que dans l’intérêt de leurs armées. Dès qu’ils furent certains de la victoire, ils gardèrent prudemment le silence. C’était une bonne fortune que la nation ne fût pas venue se jeter intempestivement au travers de leurs desseins. Puisqu’elle n’avait rien fait pour eux, ils n’avaient pas à tenir compte d’elle. Ils pourraient en disposer d’autant plus librement, qu’elle paraissait s’être résignée à leur abandonner son avenir. En attendant de se mettre d’accord, ils se hâtèrent de jeter la main sur cette belle conquête et de la conserver à leur disposition.

« Les Pays-Bas délivrés du joug de la France, disait lord Castlereagh, doivent rester quelque temps sous l’administration commune des hauts alliés »[1]. Cependant chacun de ceux-ci ne pensait qu’à soi. La Prusse, avide de saisir sa revanche des humiliations dont Napoléon l’avait abreuvée, était la plus impatiente et la plus rapace. Tout de suite elle avait fixé ses convoitises sur la ligne de la Meuse et sur le Luxembourg. Pressée de prendre des gages et de marquer la frontière de ses ambitions, elle avait rattaché au gouvernement

  1. Gedenkstukken, 1813-1815, p. 448.