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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/25

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INTRODUCTION

protestants, le retrait de la législation sur les Juifs, le mariage considéré comme contrat civil, l’introduction du divorce, l’abolition de la torture. Évidemment, sous la poussée de l’esprit du temps, le gouvernement commençait à rompre avec la tradition si impitoyablement raillée par Voltaire. Les économistes et les encyclopédistes applaudissaient à ces initiatives. On put croire un instant, lorsque Turgot fut appelé au ministère, que le coup de barre était donné définitivement.

Ce qui empêcha sans doute la monarchie française de persister dans cette direction, ce n’est pas, comme les révolutionnaires devaient le croire, que le roi fût un tyran, c’est au contraire qu’il était trop faible. Si Louis XVI eût possédé le pouvoir d’un Frédéric II ou d’un Joseph II, il n’eût probablement pas renvoyé Turgot. Mais absolu en théorie, il ne l’était pas du tout dans la pratique. La tradition de Louis XIV pesait sur lui de tout son poids et le paralysait. Pour enlever à la noblesse et au clergé tout pouvoir politique, Louis XIV les avait domestiqués. Il les avait exclus du gouvernement, mais il leur avait livré le palais. Ses successeurs devaient être les prisonniers de leurs courtisans. Ils ne purent régner qu’à condition de tolérer les innombrables abus dont vivait la cour ; ils durent laisser mettre l’État au pillage. Pour réformer celui-ci, il eût fallu tout d’abord expulser les parasites de Versailles. Qui l’eût osé ? Au milieu de sa noblesse et de ses prélats de cour, le roi pouvait tout se permettre, à condition qu’il ne se permît rien à leur détriment. Comment eût-il pu rompre avec une aristocratie à laquelle il reconnaissait le droit de vivre de lui et dont il se considérait comme le père nourricier ? Il pouvait avoir des velléités de réformes, il n’avait ni le pouvoir ni d’ailleurs la volonté de les pousser au point où elles eussent sacrifié les privilégiés à la nation.

Force fut bien pourtant de s’adresser à celle-ci lorsque le déficit grandissant eut amené le gouvernement au bord de la banqueroute. Mais convoquer les États-Généraux, que la royauté avait cessé de réunir depuis 1614, ce n’était pas se tourner vers l’avenir, mais vers le passé. C’était avouer