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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/306

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L’INSTALLATION DU RÉGIME

pas ses sympathies pour la France de Louis XVIII. Dès le mois d’août 1815, le roi l’accusait « de ne se servir de son ministère que dans des vues politiques »[1], et les apparences lui donnaient raison. En réalité, le palais épiscopal de Gand était un foyer d’influence française. À l’ancien vicaire général Duvivier avait succédé un Français, l’abbé Lesurre, qu’inspirait l’outrance réactionnaire du clergé de la Restauration. L’attachement des prêtres flamands à leur évêque, dans lequel ils vénéraient depuis son exil sous Napoléon un martyr de la foi, ne garantissait que trop bien leur obéissance à ses directions. Ils formaient bloc autour de lui, et le diocèse de Gand, uni dans une même volonté d’opposition au pouvoir civil, semblait, au milieu du royaume, une petite Église combative et rebelle. On eût dit que son chef s’obstinait par orgueil à braver le roi. Ne tenant compte ni du Concordat ni des lois[2], il nommait des curés sans les faire agréer par le gouvernement, appelait de France des congréganistes, installait des jésuites français dans son château de Destelberghen, et, en obligeant le pouvoir à les expulser, le contraignait à prendre des allures persécutrices qui révoltaient l’opinion. Le conflit s’aigrissant de jour en jour, avait fini par prendre les apparences d’une querelle personnelle entre le roi et le prélat. Les scrupules d’orthodoxie que Mgr. de Broglie avait invoqués en octobre 1816 pour refuser des prières publiques à l’occasion de la délivrance de la princesse d’Orange, une schismatique[3], sans y être formellement autorisé par le pape, avaient laissé dans l’âme de Guillaume une rancune inoubliable.

Mais le plus grave était la campagne que le clergé, et à sa tête le clergé des Flandres, continuait de mener contre la Loi fondamentale. Son intransigeance semblait s’exaspérer par la

  1. Gedenkstukken 1813-1815, p. 791.
  2. Une ordonnance du 10 mai 1816 avait déclaré que le Concordat, y compris les articles organiques, restait en vigueur en Belgique.
  3. Après la rupture de ses fiançailles avec la princesse Charlotte d’Angleterre, en 1815, le prince d’Orange, en 1816, avait épousé la grande-duchesse Anna Paulowna sœur du tsar. Sur l’incident provoqué par de Broglie, voy. Terlinden, op. cit., t. I, p. 207.