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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/311

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LA PRESSE

critiquer leurs adversaires, aussi longtemps du moins que ces adversaires se confondirent avec ceux du gouvernement. Plus attentifs à leurs intérêts qu’à leurs principes, ils s’abstinrent de revendiquer pour autrui l’indépendance dont ils ne jouissaient qu’à charge de n’en pas abuser. En les laissant attaquer les catholiques et le gouvernement français, l’administration leur donna l’illusion qu’ils étaient libres[1]. Si les procès de presse soulevèrent çà et là quelque agitation, si, par exemple, l’amende encourue par van der Straeten fut payée par souscription publique, les sévérités prodiguées à la presse n’émurent pas profondément l’opinion. On s’y accoutuma comme à une conséquence du régime. La politique dans l’enfance n’éprouvait pas encore le besoin impérieux d’élever la voix.

Ce n’était point par vaine satisfaction d’absolutisme que le roi s’attachait à écraser les résistances et à étouffer les protestations. Il voulait sincèrement le bien du royaume et il était non moins sincèrement persuadé que lui seul était à même de l’accomplir. Il ne concevait le gouvernement que sous la forme d’une administration soumise, sans obstacles et sans interventions intempestives, à sa volonté, organe et instrument de la prospérité générale. Ses idées, il importe de le redire encore, restaient au fond celles du despotisme éclairé du XVIIIe siècle. Anti-révolutionnaire en ce sens qu’il repoussait comme une absurdité malfaisante le dogme de la souveraineté du peuple, il admirait en revanche, parce qu’il y voyait le dernier perfectionnement de l’État, cette centralisation politique et ce fonctionnarisme d’esprit moderne que l’Empire avait recueilli de la

  1. En 1825, l’attaché prussien von Galen observe qu’il existe dans les Pays Bas « une liberté et même une licence absolue de la presse pour tout ce qui a rapport aux pays étrangers, mais nulle part dans tous les États constitutionnels les journaux et feuilles périodiques n’osent si peu se prononcer contre les mesures de leur gouvernement. Dans tout autre pays l’esprit du libéralisme pourrait être choqué par cette contrainte, mais ici on lui a ouvert un immense champ de bataille dans un pays voisin (la France), trop étroitement lié avec la Belgique pour que celle-ci ne prenne pas un vif intérêt à tout ce qui s’y passe, et en ayant pleine liberté de discuter les querelles des autres, on a moins remarqué que le gouvernement savait faire taire et punir ceux qui avaient osé élever leurs voix contre ses mesures administratives ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 213.