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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/338

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LES PARTIS ET LE GOUVERNEMENT

une amertume croissante, l’injustice qui leur était faite dans un État où ils avaient conscience de mériter le premier rang et qui les reléguait au second. La préférence accordée aux Hollandais dans toutes les branches de l’administration, l’égalité de la représentation des deux parties du royaume aux États-Généraux en dépit de l’inégalité des populations, le néerlandais imposé à la bourgeoisie francisée des provinces flamandes, fournissaient autant de griefs contre lesquels on ne protestait pas encore à haute voix, mais qui deviendraient des armes terribles dès que l’opposition se déciderait à entreprendre une lutte que les circonstances avaient retardée mais qu’elles étaient, en 1828, sur le point de déchaîner avec une violence d’autant plus grande qu’elle avait été plus longtemps différée.

Le gouvernement, ou pour mieux dire le roi, puisque le roi et le gouvernement c’était tout un, ne semble pas avoir prévu le péril dont il était menacé. Appuyé dès l’origine par les libéraux belges, il s’était habitué à croire qu’il pourrait compter sur eux en toute occasion. Il les considérait comme un parti ministériel acquis à ses vues et aussi attaché que lui-même aux intérêts de la couronne. C’était là une erreur fondamentale. La persévérance et l’énergie avec lesquelles les amis de Dotrenge et de Reyphins avaient soutenu Guillaume n’avaient d’autre cause que la communauté de leurs adversaires. Partisans comme lui de la subordination de l’Église à l’État, ces libéraux joséphistes ou plus exactement bonapartistes, s’étaient résolument placés à ses côtés pour combattre les cléricaux. Mais leur anticléricalisme ne s’inspirait pas, comme celui du roi, de la nécessité de consolider l’unité du royaume. Il n’était que la conséquence de leur adhésion aux principes de l’État moderne tel que Napoléon l’avait construit au sortir de la Révolution. Ce n’était pas au profit des traités de 1815 et en faveur de l’ « amalgame » qu’ils avaient applaudi aux mesures prises par Guillaume contre leurs compatriotes catholiques : c’était par conviction intime, et leur conduite eût été exactement la même sous n’importe quel régime. Le roi se trompait donc du tout au tout en les croyant, quoi qu’il arri-