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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/372

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LA BELGIQUE DE 1815 À 1830

dehors. Non seulement elle ne reçut aucune effluve de la puissante effloressence de la littérature néerlandaise du XVIIe siècle, mais elle se confina dans un particularisme qui finit par différencier si fortement ses dialectes de l’idiome hollandais, qu’elle prit l’apparence d’une langue propre à la Belgique. La conquête française ne fit qu’accentuer cette détresse. Banni de l’administration et de l’école, suspect aux autorités, dédaigné par ceux-là même qui, faute de mieux, continuaient à s’en servir, le flamand, au commencement du XIXe siècle, n’apparaissait plus que comme un simple patois dont les jours étaient comptés.

Les mêmes causes qui agirent contre lui agirent naturellement en faveur du français. Depuis le milieu du XVIIe siècle, son emploi s’était généralisé de plus en plus rapidement. Sous le régime autrichien, il est à peu près universellement parlé dans la noblesse et dans la haute bourgeoisie. La République et l’Empire n’eurent qu’à assurer et à étendre la situation qu’il avait acquise au moment de l’annexion du pays. Tout au plus activèrent-ils un mouvement qui leur était bien antérieur et en faveur duquel conspiraient à la fois et le prestige de la France et l’intérêt des particuliers et le développement de l’industrie et la centralisation administrative.

Aussi, ne peut-on s’étonner si, en 1815, la classe censitaire sur laquelle repose la constitution du royaume des Pays-Bas est francisée, pour ainsi parler, jusque dans les moelles. Keverberg observe que « dans la haute société de la Belgique, la langue française est devenue dominante et à peu près exclusive »[1]. Le barreau de Gand affirme en 1822 qu’elle « s’est en quelque sorte identifiée avec nos mœurs et est devenue depuis trente ans la langue usuelle de toutes les relations civiles et commerciales »[2]. En 1821, les membres des États du Limbourg sont incapables de délibérer en flamand[3]. Aux États-Généraux, le français est seul en usage à la première Chambre et à la seconde Chambre, non seulement il est parlé

  1. Keverberg, op. cit., t. I, p. 292.
  2. Gedenkstukken 1815-1825, t. II, p. 593.
  3. Ibid., t. II, p. 518, 519.