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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/385

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FERMENTATION GÉNÉRALE DES ESPRITS

dix-neuf membres, délibérant à huis-clos en politiciens de bonne compagnie, et, à l’exemple de leurs modèles, les doctrinaires français, profondément convaincus de leur importance.

Ces modérés avaient vu tout d’abord avec satisfaction les jeunes libéraux et le clergé se lancer dans la lutte politique. Mais s’ils s’étaient flattés de trouver en eux des auxiliaires bénévoles, ils ne tardèrent pas à se détromper. Ils durent se convaincre que l’agitation, à mesure qu’elle allait s’élargissant, leur échappait. Ils la voyaient avec inquiétude affecter des allures de plus en plus populaires et démocratiques, et ses chefs, encouragés par le succès, ne prendre conseil que d’eux-mêmes. En somme, le mouvement débordait maintenant le pays légal. Entre l’opposition parlementaire des députés aux États-Généraux et l’opposition nationale suscitée par les partis, il n’y avait ni point de contact ni entente. Les jeunes « jacobins »[1] menaient la propagande libérale comme les curés et les vicaires, la propagande catholique, ceux-là sans s’inquiéter des associations constitutionnelles, ceux-ci sans se soucier de leurs évêques. Le nonce du pape s’effrayait de leur audace et de leur fougue. Ils placent au-dessus de tout, écrit-il, l’autorité du Saint-Siège. Mais ils sont tellement « imbus et infatués » de leur ultramontanisme libertaire et du système politique de Lamennais que si même le Saint-Siège l’essayait, il ne parviendrait pas à les modérer[2].

Ils se déchaînent contre le gouvernement et ne cachent plus leur hostilité à la personne du roi. Beaucoup de prêtres cessent de prononcer son nom en chantant le Te Deum. Et la presse catholique et libérale ne montre pas plus de retenue. On distribue gratuitement les journaux dans les campagnes flamandes ; pour les rendre accessibles au peuple, on traduit leurs articles les plus sensationnels que l’on glisse sous les portes des fermes. Un des plus zélés informateurs du gouvernement, l’instituteur allemand Bergman, constate que les paysans, jadis si apathiques, sont maintenant transformés

  1. À partir de 1828, c’est ainsi que les ministériels désignent habituellement les jeunes libéraux.
  2. Terlinden, op. cit., t. II, p. 411.