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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/422

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LES JOURNÉES DE SEPTEMBRE

Timide, mais réfléchi et obéissant, Frédéric ne concevait aucun doute sur la mission dont son père l’avait chargé : ce serait tout au plus une opération de police.

Dans Bruxelles même, les apparences justifiaient cet optimisme. Le général Valazé, qui venait d’y arriver comme ministre de Louis-Philippe, écrivait à Paris que la fin des troubles était proche, que la bourgeoisie en avait assez, que les « ouvriers guerriers » qu’il voyait passer devant ses fenêtres étaient incapables de combattre et que « les soldats entreraient dans la ville comme ils voudraient ». Ceux que le souci de leurs intérêts avait rejetés vers le gouvernement ne se cachaient plus. Dans la soirée du 22, ils avaient risqué une manifestation orangiste au théâtre de la Monnaie, et le matin du 23, on rencontrait dans les rues des dames en grande toilette, impatientes d’assister au défilé des troupes hollandaises[1].

Depuis trois jours aucune autorité n’existait plus. Les bandes armées, qui avec l’appui des Liégeois et des étrangers s’étaient emparées du pouvoir, abandonnées à elle-mêmes à l’heure décisive, flottaient au hasard, n’obéissant à aucune direction, incapables, dans le décousu de leurs efforts, de prendre des mesures et de s’organiser. Les orateurs du club, les jeunes démocrates, les membres de la Commission de sûreté, bref, tous ceux qui, dans les derniers jours, avaient collaboré au mouvement révolutionnaire, sentant leur impuissance à le diriger, s’épouvantaient de leur responsabilité et de l’imminence d’une catastrophe. Pas plus que le prince, ils ne croyaient à la possibilité de la résistance. Aucun d’eux n’avait prévu une attaque en règle. Ils s’étaient flattés jusqu’au bout de l’espoir que les Hollandais ne répondraient pas à leurs provocations. De même que leurs compatriotes du XVIe siècle avaient compté sur la longanimité de Philippe II, ils avaient compté sur celle de Guillaume, si bien que l’arrivée de Frédéric les désemparait comme l’arrivée du duc d’Albe avait désemparé leurs pères. Affronter une lutte ouverte était aussi impossible que de conseiller la soumission. Le seul parti à prendre était

  1. Gedenkstukken 1830-1840, t. II, p. 22-24.