Aller au contenu

Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LE DÉCRET DU 15 DÉCEMBRE 1792

prêteront serment à la liberté et à l’égalité et jureront de renoncer aux privilèges. Les administrations provisoires établies, les commissaires « fraterniseront » avec elles. Ils les initieront à leurs devoirs dont le premier sera de liquider les biens du prince et de ses fauteurs ainsi que ceux des établissements publics et des corps et communautés ecclésiastiques et laïques. Ils leur enseigneront à s’intéresser avant tout à la « partie indigente et laborieuse du peuple ». Ils auront, au surplus, à prendre de concert avec les généraux les mesures nécessaires au recrutement des troupes, aux travaux de fortification, aux rapports entre les soldats et les habitants. Enfin, une de leurs attributions les plus essentielles sera de faire circuler les assignats et de veiller à leur échange au pair contre espèces. La liberté est à ces conditions. Qui les refuse sera considéré par la République comme un ennemi[1].

Dégagé de ses déclarations humanitaires, le décret se révèle au premier coup d’œil comme un formidable instrument d’oppression. La souveraineté qu’il reconnaît au peuple n’a plus rien de commun avec la souveraineté nationale, puisque non seulement elle est subordonnée aux commissaires de la Convention, mais encore qu’elle dépend chez les citoyens d’un acte de foi révolutionnaire. Le despotisme éclairé de Joseph II était bien moins dur et bien moins humiliant que celui de la République. Car s’il prétendait moderniser les institutions, du moins s’abstenait-il de violenter les consciences, de bouleverser la constitution sociale et de sacrifier la Belgique aux intérêts de l’Autriche. Ici, tout est foulé aux pieds à la fois. Il ne suffit pas d’imposer au pays le joug d’une minorité jacobine dont l’immense majorité de la nation a horreur, il faut encore que sa richesse serve à raffermir le cours des assignats et que son numéraire s’écoule en France. L’exploitation économique va de pair avec la servitude. Au surplus, le régime qu’institue le décret va plonger le pays déjà si désordonné dans une anarchie intolérable. À peine commence-t-il à se transformer que

  1. Voir le texte du décret, voté sur la proposition de Cambon, et la discussion à laquelle il donna lieu, dans le Moniteur, Nos 352 et 353, des 17 et 18 décembre 1792.