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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/87

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DÉTRESSE DU PAYS

Si oppressif qu’il soit encore, du moins le régime n’est-il pas cruel[1]. Au début de la conquête, ç’avait été une fuite éperdue de fonctionnaires autrichiens, de nobles, de prélats, de propriétaires, de fabricants, de rentiers. Petit à petit, ils se hasardent à rentrer et profitent de plus en plus largement des mesures prises pour faciliter leur retour. En fait, fort peu d’entre eux s’obstinèrent dans l’exil. La plaie de l’émigration, si terrible et si persistante en France, a été épargnée à la Belgique. Le pays n’a fourni que bien peu de soldats aux armées qui ont combattu la République. Après un premier mouvement de terreur, les ci-devant privilégiés se sont ressaisis. Et sans doute, c’est le souci de leurs biens qui les a rappelés dans la patrie, mais il n’en est pas moins vrai qu’en venant reprendre leur place au sein du peuple et en partageant son sort, ils ont conservé sur lui et peut-être même renforcé leur ascendant traditionnel[2].

Cependant la situation du pays semblait désespérée. Depuis six ans, il vivait dans un état de crise permanente. Affaibli par les secousses que lui avaient successivement infligées la révolution brabançonne, la restauration autrichienne, la conquête de Dumouriez et le retour des impériaux, il s’était effondré sous le choc de Fleurus. Et quand bien même il eût été plus robuste, eût-il pu supporter un régime qui l’asservissait, sans résistance possible, au bon plaisir du vainqueur ?

  1. Il y eut pourtant, au début, quelques exécutions capitales, mais elles furent peu nombreuses. Voy. à cet égard, l’étude de P. Verhaegen sur le tribunal révolutionnaire de Bruxelles, citée p. 64, n. 2, et du même, Le procès et la mort de P.-J. d’Herbe, fusillé à Bruxelles le 17 octobre 1794. Messager des Sciences historiques, t. LXVIII, p. 257 et suiv.
  2. Il serait intéressant d’étudier l’émigration belge. Sauf un petit groupe de prélats et de grands seigneurs qui ne rentrèrent pas, elle ne dura qu’un moment. Dès le 28 novembre 1794, on constate que les émigrés rentrent journellement (Arrêtés, p. 150). Le 10 mars 1795, le mouvement ne cesse de s’accentuer (Aulard, Recueil, t. XX, p. 781). Le 28 mai, on prend des mesures pour le faciliter (Arrêtés, p. 433). La même année, la liste des émigrés publiée pour le département de la Dyle ne comprend que 343 personnes, à peu près tous membres de la haute noblesse ou fonctionnaires du gouvernement autrichien. Celle des Deux-Nèthes ne signale que 93 noms. Cf. les Mémoires du comte de Mérode-Westerloo t. I, p. 62 et suiv. (Bruxelles, 1864).